Tout ce que d’un guerrier peut permettre l’honneur.
Eh bien ! servez-moi donc.
Quel dessein vous anime ?
Vous voulez que je serve à vous noircir d’un crime ?
Un crime, dites-vous ?
Je ne puis autrement
Nommer l’atrocité de cet enlèvement.
Un crime ! vous osez…
Oui, j’ose vous apprendre
La dure vérité que vous craignez d’entendre.
Et quel autre que moi la dira sans détour ?
Va, c’est où t’attendait mon malheureux amour.
Traître ! tu n’as pas su me cacher mon injure
De tes fausses vertus je voyais l’imposture.
Je ne prétendais pas te découvrir mon cœur ;
J’ai trop sondé du tien la sombre profondeur ;
J’en ai vu les replis ; j’ai percé le mystère
Dont tu sais fasciner les regards du vulgaire.
Je voyais dans mon frère un ennemi fatal ;
Il veut paraître juste, il n’est que mon rival.
Tu l’es : tu crois cacher d’un masque de prudence
De l’esclave et de toi l’indigne intelligence.
Plus coupable que moi tu m’osais condamner ;
Mais tu connais ton frère ; il sait peu pardonner.
Je te crois ; je connais ta féroce insolence ;
Tu crois du roi mon père exercer la puissance.
Monté sur les degrés de ce suprême rang,
Es-tu le seul ici qui sois né de son sang[1] ?
- ↑ Dans sa lettre à d’Argental, du 20 avril 1778, Voltaire proposait cette version :
Ne t’enorgueillis point d’être né de son sang ;
Souviens-toi de la fange où le ciel t’a fait naître.
Il a su la couvrir par les vertus d’un maître ;
Et les excès affreux qui l’ont trop démenti
Te rendront au limon dont il était sorti.