On eût dit, en voyant Argide auprès de moi,
Que j’étais le coupable, et qu’Argide était roi.
L’insolent à mes yeux se vantait de son crime ;
Le meurtre de son frère est, dit-il, légitime
Il a servi l’État en m’arrachant mon fils !
(Il s’assied.)
C’en est trop ! qu’on me venge… Elpénor, obéis.
Qu’on me venge… Soldats, n’épargnez plus Argide :
Il faut enfin qu’un roi punisse un parricide.
Qu’il meure.
Non, seigneur, non, vous ne voudrez pas
De deux fils en un jour contempler le trépas ;
Vous n’immolerez point la moitié de vous-même.
De mes dieux méprisés la majesté suprême
Ne parle point ici par ma débile voix ;
Je n’attesterai plus leur justice et leurs lois :
Je sais trop qu’à pas lents la vengeance éternelle
Poursuit des méchants rois la tête criminelle ;
Et que souvent la foudre éclate en vains éclats
Pour des cœurs endurcis qui ne la craignent pas.
Mais ne vous perdez point dans un jour si funeste ;
Ne vengez point un fils sur un fils qui vous reste,
Et ne vous privez point de l’unique secours
Que le ciel vous gardait dans vos malheureux jours.
Cruel ! peux-tu frapper une fille innocente !
J’apporte ici ma tête, et votre main sanglante
Me sera favorable en me faisant mourir.
Mais voyez les horreurs où vous allez courir :
Le fils dont vous pleurez la mort trop méritée
Avait une âme atroce et du crime infectée,
Et, jaloux de son frère, allait l’assassiner ;
Le fils qu’un père injuste ose ici condamner
Est un héros, un dieu qui nous a fait justice.
Si vous vous obstinez à vouloir son supplice,
Voyez déjà ce sang, répandu par vos mains,
Soulever contre vous les dieux et les humains :
Vous serez détesté de toute la nature,
Détesté de vous-même… et l’âme auguste et pure,
L’âme du grand Argide en vain du haut des cieux