Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/15

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AVERTISSEMENT. v

« Combien cet ordre d'idées et d'images était nouveau dans notre poé- sie! Le grand Corneille avait admirablement traduit, sur la scène, le génie de Rome républicaine et les époques du despotisme romain; mais la poli- tique moderne, les institutions, les lois de l'Europe, étaient matière inconnue de la poésie. Voltaire fit servir la poésie aux vérités sérieuses de la vie sociale.

« Telle est la Ilenriade, monument d'un art ingénieux et d'une époque Qorissante. Elle a fait mieux connaître un grand roi dont la gloire était restée dans l'ombre pendant la longue apothéose de Louis XIV régnant. Bos- suet, à la vérité, dans une lettre de direction, disait à Louis XIV d'admi- rables choses sur la bonté île cœur de Henri et son amour du peuple; mais c'était un éloge secret. La chaire chrétienne, les grands écrivains du XVII* siècle parlaient peu de Henri. Je ne sais s'ils lui avaient encore par- donné son hérésie. Voltaire le premier fit briller ce nom d'un éclat nouveau, et en opposa les bienfaisants souvenirs à la gloire onéreuse du dernier règne.

« Le succès fut grand et retentit dans toute l'Europe. La Ilenriade fut critiquée, vantée, réimprimée sans cesse. Le roi de Prusse voulut en être l'éditeur, et, dans une préface admirative, la mit à côté de l'Enéide.

« La postérité a réduit beaucoup cette louange; mais la Henriade^iàns être une création originale, conserve un caractère distinct et une place à part parmi tant d'essais d'épopée.

« Une revue anglaise, après un examen fort attentif d'un poëme épique nouveau, couronnait ses critiques et ses éloges par ces mots : « A tout « prendre, le poëme épique dont nous venons de donner l'analyse est un des « meilleurs qui aient paru dans l'année. « Tel est le fleuve d'oubli qui emporte les épopées modernes. Le Léonidas do Glover, la Colombiade du poëte américain, les épopées italiennes de nos jours, sont déjà bien loin: laHen- riade ne passera pas de même ; elle a la marque d'une époque et d'un génie.

« Voltaire en avait fait le premier instrument de sa mission philoso- phique; il y avait employé la poésie, surtout à plaire à l'opinion; il y avait gravé, en beaux vers, des principes de liberté politique et religieuse. Ce qui faisait la nouveauté hardie de l'ouvrage en est encore la beauté sérieuse et dernière. »

Voltaire, jusqu'à la fin de sa vie, fut avant tout l'auteur de la Ilenriade. C'était son titre poétique. Lorsqu'il fit exécuter par un peintre genevois le tableau qui est encore à Ferney : le Triomphe de Voltaire, il y était repré- senté offrant sa Henriade à Apollon, en présence de ses ennemis fouettés par les Furies. Il fut préoccupé sans cesse d'assurer à cette œuvre capitale toutes les garanties de popularité durable que les arts réunis peuvent procurer. Il aurait voulu qu'elle fût exécutée même eu tapisserie. « Vous allez donc, mon cher ami, écrit-il à l'abbé Moussinot, dans le royaume de M. Oudry ^ ? Je voudrais bien qu'un jour il voulut bien faire exécuter

1. La manufacture de Beauvais.

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