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AVERTISSEMENT DE BEUGIIOT. 3

et des plus verluoux magistrats que la France ait jamais eus, Miron, lieu- tenant civil et prévôt des marchands, fit au roi des remontrances hardies au sujet des rentes de l'hôtel de ville, dont on voulait faire une recherche pré- judiciable à l'intérêt et au repos des familles ; les paroles de Miron, qui n'étaient que fortes, parurent séditieuses aux courtisans. Plusieurs conseil- lèrent au roi de le faire enfermer à la Bastille. Au premier bruit de ces con- seils violents, le peuple, qui idolâtrait Miron, et qui n'avait pas encore perdu cette audace et cette impétuosité que donnent les guerres civiles, accourut en foule à la porte de ce magistrat. 11 fit retirer la populace avec sagesse, et vint se présenter à Henri IV, plein d'une confiance que lui donnaient sa vertu et celle de son maître. Quand il parut devant le roi, il n'en reçut que des éloges. Le prince approuva sa fidélité et la hardiesse de son zèle. «Vous « avez voulu, dit-il, être le martyr du public, mais je ne veux point en être « le persécuteur. » Il fit plus, il révoqua son édit, et apprit aux rois, par cet exemple, qu'ils ne sont jamais si grands que lorsqu'ils avouent qu'ils se sont trompés. Le dirai-je, sire? oui, la vérité me l'ordonne; c'est une chose bien honteuse pour les rois que cet étonnement où. nous sommes quand ils aiment sincèrement le bonheur de leurs peuples. Puissiez-vous un jour nous accoutumer à regarder en vous cette vertu comme un apanage insé[)arable de votre couronne ! Ce fut cet amour véritable de Henri IV pour la France qui le fit enfin adorer de ses sujets.

« Les cœurs que l'esprit de la Ligue avait endurcis s'attendrirent ; ceux qui s'étaient le plus opposés à sa grandeur n'en désiraient plus que l'affer- missement et la durée. Dans ce haut degré de gloire, il allait changer la face de l'Europe; il partait à la tête d'une armée formidable^; on allait voir éclore un dessein inouï que seul il avait pu former, et qu'il était seul capable d'exécuter, lorsqu'au milieu de ces préparatifs et sous les arcs de triomphe préparés pour son épouse il fut assassiné.

« A ces paroles, qui furent en un moment portées dans tout Paris : Le roi est mort! la consternation saisit tous les cœurs, on n'entendit que des cris et des gémissements; on s'embrassait en versant des larmes. Les vieillards disaient à leurs enfants : « Vous avez perdu votre père. » Vous le savez, sire, ce ne sont point des exagérations, c'est l'exacte peinture de la douleur que sa mort fit sentir à la France.

« Vous êtes né, sire, ce que Henri le Grand devint par son courage. Ce trône qu'il conquit à quarante ans, dont il trouva les fondements ébranlés et teints du sang des Français, la nature vous l'a donné dans votre enfance, glorieux et paisible. Les cœurs des Français que ses vertus forcèrent si tard à l'aimer, vous les possédez dès votre berceau. Vos yeux ne se sont ouverts que pour voir des hommes pénétrés pour vous d'une tendresse respectueuse; que dis-je, la France vous adore ! « 

Il paraît que les difficultés vinrent de la censure-. Mais le poëme était

1. Voyez le chapitre ci.xxiv de l'Essai sur les mœurs.

2. Page IX de l'Avertissement de l'éditeur des Pièces inédites de Voltaire, 18'21, in-S".

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