Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ambitieux Essex, vous étiez à la fois
L’amour de votre reine et le soutien des rois.
Plus loin sont La Trimouille[1], et Clermont, et Feuquières,
Le malheureux de Nesle, et l’heureux Lesdiguières[2],
D’Ailly, pour qui ce jour fut un jour trop fatal.
Tous ces héros en foule attendaient le signal,
Et, rangés près du roi, lisaient sur son visage
D’un triomphe certain l’espoir et le présage.
Mayenne, en ce moment, inquiet, abattu,
Dans son cœur étonné cherche en vain sa vertu[3].
Soit que, de son parti connaissant l’injustice,
Il ne crût point le ciel à ses armes propice ;
Soit que l’âme, en effet, ait des pressentiments,
Avant-coureurs certains des grands événements.
Ce héros cependant, maître de sa faiblesse,
Déguisait ses chagrins sous sa fausse allégresse[4] :
Il s’excite, il s’empresse, il inspire aux soldats
Cet espoir généreux que lui-même il n’a pas.
D’Egmont auprès de lui, plein de la confiance[5]
Que dans un jeune cœur fait naître l’imprudence,
Impatient déjà d’exercer sa valeur,
De l’incertain Mayenne accusait la lenteur.
Tel qu’échappé du sein d’un riant pâturage[6],

  1. Claude, duc de La Trimouille, était à la bataille d'Ivry. Il avait un grand courage et une ambition démesurée, de grandes richesses, et était le seigneur le plus considérable parmi les calvinistes. Il mourut à trente-huit ans.

    Balsac de Clermont d'Entragues, oncle de la fameuse marquise de Verneuil, fut tué à la bataille d'Ivry. Feuquières et de Nesle, capitaines de cinquante hommes d'armes, y furent tués aussi. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Jamais homme ne mérita mieux le titre d'heureux; il commença par être simple soldat, et finit par être connétable sous Louis XIII. (Id., 1730.)
  3. Boileau a dit, dans le Lutrin, chant V, vers 230 :
    Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage.
  4. Imitation de Virgile (Æn., IV, 477, et I, 212-213) :
    Consilium vultu tegit, ac spem fronte serenat...
    · · · · · · · · · · · · · · · Curisque ingentibus æger
    Spem vultu simulat, premit altum corde dolorem.
  5. Ce vers et les quinze qui le suivent furent ajoutés en 1728.
  6. Imitation de Virgile 5Géorg., III, 75-76, 83-86) :
    Continuo pecoris generosi pullus in arvis