Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/225

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Au mousquet réuni le sanglant coutelas
Déjà de tous côtés porte un double trépas :
Cette arme[1] que jadis, pour dépeupler la terre,
Dans Bayonne inventa le démon de la guerre,
Rassemble en même temps, digne fruit de l’enfer,
Ce qu’ont de plus terrible et la flamme et le fer.
On se mêle, on combat ; l’adresse, le courage,
Le tumulte, les cris, la peur, l’aveugle rage,
La honte de céder, l’ardente soif du sang,
Le désespoir, la mort, passent de rang en rang.
L’un poursuit un parent dans le parti contraire ;
Là, le frère en fuyant meurt de la main d’un frère.
La nature en frémit, et ce rivage affreux
S’abreuvait à regret de leur sang malheureux.
Dans d’épaisses forêts de lances hérissées,
De bataillons sanglants, de troupes renversées,
Henri pousse, s’avance, et se fait un chemin.
Le grand Mornay[2] le suit, toujours calme et serein ;
Il veille autour de lui tel qu’un puissant génie,
Tel qu’on feignait jadis, aux champs de la Phrygie,
De la terre et des cieux les moteurs éternels
Mêlés dans les combats sous l’habit des mortels ;
Ou tel que du vrai Dieu les ministres terribles,
Ces puissances des cieux, ces êtres impassibles,
Environnés des vents, des foudres, des éclairs,
D’un front inaltérable ébranlent l’univers.
Il reçoit de Henri tous ces ordres rapides,
De l’âme d’un héros mouvements intrépides,
Qui changent le combat, qui fixent le destin ;
Aux chefs des légions il les porte soudain ;
L’officier les reçoit ; sa troupe impatiente
Règle, au soin de sa voix, sa rage obéissante.
On s’écarte, on s’unit, on marche en divers corps ;
Un esprit seul préside à ces vastes ressorts.
Mornay revole au prince, il le suit, il l’escorte ;

  1. La baïonnette au bout du fusil ne fut en usage que longtemps après. Le nom de baïonnette vient de Bayonne, où l'on fit les premières baïonnettes. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Duplessis-Mornay eut deux chevaux tués sous lui à cette bataille. Il avait effectivement dans l'action le sang-froid dont on le loue ici. (Id., 1730.)