Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/267

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Il fonde les cités, les disperse en ruines,
Et les cœurs des mortels sont dans ses mains divines.
Henri, de qui le ciel a réprimé l’ardeur,
Des guerriers qu’il gouverne enchaîne la fureur.
Il sentit qu’il aimait son ingrate patrie ;
Il voulut la sauver de sa propre furie.
Haï de ses sujets, prompt à les épargner,
Eux seuls voulaient se perdre ; il les voulut gagner.
Heureux si sa bonté, prévenant leur audace,
Forçait ces malheureux à lui demander grâce.
Pouvant les emporter, il les fait investir ;
Il laisse à leur fureur le temps du repentir.
Il crut que, sans assauts[1], sans combats, sans alarmes,
La disette et la faim, plus fortes que ses armes,
Lui livreraient sans peine un peuple inanimé,
Nourri dans l’abondance, au luxe accoutumé ;
Qui, vaincu par ses maux, souple dans l’indigence,
Viendrait à ses genoux implorer sa clémence :
Mais le faux Zèle, hélas ! qui ne saurait céder,
Enseigne à tout souffrir, comme à tout hasarder.
Les mutins, qu’épargnait cette main vengeresse,
Prenaient d’un roi clément la Vertu pour faiblesse ;
Et, fiers de ses bontés, oubliant sa valeur,
Ils défiaient leur maître, ils bravaient leur vainqueur ;
Ils osaient insulter à sa vengeance oisive.
Mais lorsqu’enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d’apporter dans ce vaste séjour
L’ordinaire tribut des moissons d’alentour ;
Quand on vit dans Paris la Faim pâle et cruelle,
Montrant déjà la Mort qui marchait après elle ;
Alors on entendit des hurlements affreux ;
Ce superbe Paris fut plein de malheureux
De qui la main tremblante, et la voix affaiblie,
Demandaient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Éprouva la famine au milieu des trésors.

  1. Henri IV bloqua Paris en 1590, avec moins de vingt mille hommes. (Note de Voltaire, 1730.)