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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

sans capacité pour l’emploi de général d’armée, il passa toute sa vie à favoriser ses ennemis et à ruiner ses serviteurs, joué par Catherine de Médicis, amusé et accablé par les Guises, et toujours dupe de lui-même. Il reçut une blessure mortelle au siège de Rouen, où il combattit pour la cause de ses ennemis contre l’intérêt de sa propre maison. Il fit voir, en mourant, le même esprit inquiet et flottant qui l’avait agité pendant sa vie.

Jeanne d’Albret était d’un caractère tout opposé : pleine de courage et de résolution, redoutée de la cour de France, chérie des protestants, estimée des deux partis. Elle avait toutes les qualités qui font les grands politiques, ignorant cependant les petits artifices de l’intrigue et de la cabale. Une chose remarquable est qu’elle se fit protestante dans le même temps que son époux redevint catholique[1] et fut aussi constamment attachée à sa nouvelle religion qu’Antoine était chancelant dans la sienne. Ce fut par là qu’elle se vit à la tête d’un parti, tandis que son époux était le jouet de l’autre.

Jalouse de l’éducation de son fils, elle voulut seule en prendre le soin. Henri apporta en naissant toutes les excellentes qualités de sa mère, et il les porta dans la suite à un plus haut degré de perfection. Il n’avait hérité de son père qu’une certaine facilité d’humeur, qui dans Antoine dégénéra en incertitude et en faiblesse, mais qui dans Henri fut bienveillance et bon naturel.

Il ne fut pas élevé, comme un prince, dans cet orgueil lâche et efféminé qui énerve le corps, affaiblit l’esprit, et endurcit le cœur. Sa nourriture était grossière, et ses habits simples et unis. Il alla toujours nu-tête. On l’envoyait à l’école avec des jeunes gens de même âge ; il grimpait avec eux sur les rochers et sur le sommet des montagnes voisines, suivant la coutume du pays et des temps.

Pendant qu’il était ainsi élevé au milieu de ses sujets, dans une sorte d’égalité, sans laquelle il est facile à un prince d’oublier qu’il est né homme, la fortune ouvrit en France une scène sanglante ; et, au travers des débris d’un royaume presque détruit, et sur les cendres de plusieurs princes enlevés par une mort prématurée, lui fraya le chemin d’un trône qu’il ne put rétablir dans son ancienne splendeur qu’après en avoir fait la conquête.

Henri II, roi de France, chef de la branche des Valois, fut tué, à Paris, dans un tournoi qui fut en Europe le dernier de ces romanesques et périlleux divertissements.

  1. Voyez une note du chant II, pages 69-70.