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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

Montmorin, gouverneur d’Auvergne, écrivit à Sa Majesté la lettre suivante, qui mérite d’être transmise à la postérité :

«[1] Sire, j’ai reçu un ordre, sous le sceau de Votre Majesté, de faire mourir tous les protestants qui sont dans ma province. Je respecte trop Votre Majesté pour ne pas croire que ces lettres sont supposées ; et si (ce qu’à Dieu ne plaise) l’ordre est véritablement émané d’elle, je la respecte aussi trop pour lui obéir[2]. »

Ces massacres portèrent au cœur des protestants la rage et l’épouvante. Leur haine irréconciliable sembla prendre de nouvelles forces : l’esprit de vengeance les rendit plus forts et plus redoutables.

  1. Dans le Nouvelliste du Parnasse, dont les rédacteurs étaient les abbés Desfontaines et Granet, on observe que le traducteur (l’abbé Granet lui-même) ne donne pas le texte de la lettre de Montmorin, mais la traduction qu’il a faite sur la traduction que Voltaire en avait faite en anglais. (B.)
  2. En 1802, dans une séance particulière de l’Institut, M. Dulaure lut un mémoire dans lequel il prouve que cette lettre est supposée, parce que : 1° le gouverneur d’Auvergne, en 1572, s’appelait et signait Saint-Herem, et non Montmorin, quoique de la même famille ; 2° le mot protestant n’était employé alors que par quelques écrivains protestants eux-mêmes : les catholiques se servaient des mots religionnaires, huguenots, calvinistes, prétendus réformés, ceux de la religion prétendue réformée ; 3° le style de la lettre n’est pas celui du temps ; 4° ce n’est pas celui du gouverneur de l’Auvergne ; 5° cette lettre est contraire à son caractère et à sa conduite antérieure, puisqu’il avait persécuté les protestants ; 6° si les réformés d’Auvergne échappèrent au massacre, ce fut parce que l’ordre envoyé de la cour au gouverneur de la province fut enlevé par un calviniste au capitaine Combelle, natif de Clermont, qui en était porteur : celui-ci n’ayant pu qu’énoncer verbalement cet ordre rigoureux, le gouverneur ne voulut pas prendre sur lui de l’exécuter sans l’avoir reçu par écrit ; mais la fureur de la cour s’étant ralentie après les massacres, on ne voulut pas expédier un nouvel ordre pour l’Auvergne.

    Le château Saint-Ange, bâti par Henri IV pour la belle Gabrielle, n’est qu’à trois lieues du château de Fontainebleau, dont les Montmorin étaient gouverneurs ; et ce fut chez M. de Caumartin, à Saint-Ange, que Voltaire commença la Henriade.

    C’est ici le lieu de remarquer aussi que Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, à qui l’on fait honneur d’avoir, dans son diocèse, empêché le massacre des protestants, loin d’avoir été leur protecteur, avait montré, en 1561, une vive opposition au célèbre édit du 17 janvier, qui leur permettait de faire des prêches hors des villes. Il ne paraît même pas qu’à l’époque de la Saint-Barthélémy, Hennuyer, qui était aumônier de Charles IX et confesseur de Catherine de Médicis, fût dans son diocèse ; ce fut, dit-on, à Guy du Longchamp de Fumichon, gouverneur, ainsi qu’à Tannegui Leveneur de Carrouges, et aux officiers municipaux de Lisieux, que les protestants de cette ville durent leur salut. Voyez dans le Mercure diverses lettres, 1746, second volume de juin et premier de décembre ; 1748, septembre, et second volume de décembre. L’abbé Lebœuf, auteur de cette dernière lettre, fait honneur à Matignon, gouverneur des bailliages d’Alençon (d’où dépendait Lisieux), de Caen, et du Cotentin, d’avoir empêché, dans son gouvernement, le massacre des protestants. (B.)