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DISSERTATION

cesse, que la mort de Henri IV faisait maîtresse du royaume, et sur le duc d’Épernon, qui servit à la faire déclarer régente. Mézeray, plus hardi que judicieux, fortifie ces soupçons ; et celui qui vient de faire imprimer le sixième tome des Mémoires de Condé[1] fait ses efforts pour donner au misérable Ravaillac les complices les plus respectables. N’y a-t-il donc pas assez de crimes sur la terre ? Faut-il encore en chercher où il n’y en a point ?

On accuse à la fois le P. Alagona, jésuite, oncle du duc de Lerme, tout le conseil espagnol, la reine Marie de Médicis, la maîtresse de Henri IV, madame de Verneuil, et le duc d’Épernon. Choisissez donc. Si la maîtresse est coupable, il n’y a pas d’apparence que l’épouse le soit ; si le conseil d’Espagne a mis dans Naples le couteau à la main de Ravaillac, ce n’est donc pas le duc d’Épernon qui l’a séduit dans Paris, lui que Ravaillac appelait catholique à gros grain, comme il est prouvé au procès[2] ; lui qui n’avait jamais fait que des actions généreuses ; lui qui d’ailleurs empêcha qu’on ne tuât Ravaillac à l’instant qu’on le reconnut tenant son couteau sanglant, et qui voulait qu’on le réservât à la question et au supplice.

Il y a des preuves, dit Mézeray, que des prêtres avaient mené Ravaillac jusqu’à Naples : je réponds qu’il n’y a aucune preuve. Consultez le procès criminel de ce monstre, vous y trouverez tout le contraire. Je ne sais quelles dépositions vagues d’un nommé Dujardin et d’une Descomans ne sont pas des allégations à opposer aux aveux que fit Ravaillac dans les tortures. Rien n’est plus simple, plus ingénu, moins embarrassé, moins inconstant, rien par conséquent de plus vrai que toutes ses réponses. Quel intérêt aurait-il eu à cacher les noms de ceux qui l’auraient abusé ? Je conçois bien qu’un scélérat associé à d’autres scélérats cèle d’abord ses complices. Les brigands s’en font un point d’honneur ; car il y a de ce qu’on appelle honneur jusque dans le crime : cependant ils avouent tout à la fin. Comment donc un jeune homme qu’on aurait séduit, un fanatique à qui on aurait fait accroire qu’il serait protégé, ne décèlerait-il pas ses séducteurs ? Comment, dans l’horreur des tortures, n’accuserait-il pas les imposteurs qui l’ont rendu le plus malheureux des hommes ? N’est-ce pas là le premier mouvement du cœur humain ?

  1. C’est en 1743 que l’abbé Lenglet-Dufresnoy avait donné, comme sixième tome ou supplément des Mémoires de Condé, vingt et une pièces. (B.)
  2. Ravaillac, d’après le texte exact du procès, semble parler ainsi de lui-même et convenir qu’il est, lui Ravaillac (et non le duc d’Épernon), un catholique à gros grain. Voyez, sur le sens de cette expression, page 295, note 1.