Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
ESSAI SUR LA POÉSIE ÉPIQUE.

temps et chez toutes les nations, d’avec ces beautés locales qu’on admire dans un pays, et qu’on méprise dans un autre. Il n’ira point demander à Aristote ce qu’il doit penser d’un auteur anglais ou portugais, ni à M.  Perrault comment il doit juger de l’Iliade. Il ne se laissera point tyranniser par Scaliger ni par Le Bossu : mais il tirera ses règles de la nature, et des exemples qu’il aura devant les yeux, et il jugera entre les dieux d’Homère et le dieu de Milton, entre Calypso et Didon, entre Armide et Ève.

Si les nations de l’Europe, au lieu de se mépriser injustement les unes les autres, voulaient faire une attention moins superficielle aux ouvrages et aux manières de leurs voisins, non pas pour en rire, mais pour en profiter, peut-être de ce commerce mutuel d’observations naîtrait ce goût général qu’on cherche si inutilement.


CHAPITRE II.
HOMÈRE.

Homère vivait probablement environ huit cent cinquante années avant l’ère chrétienne ; il était certainement contemporain d’Hésiode. Or Hésiode nous apprend qu’il écrivait dans l’âge qui suivait celui de la guerre de Troie, et que cet âge, dans lequel il vivait, finirait avec la génération qui existait alors. Il est donc certain qu’Homère fleurissait deux générations après la guerre de Troie ; ainsi il pouvait avoir vu dans son enfance quelques vieillards qui avaient été à ce siége, et il devait avoir parlé souvent à des Grecs d’Europe et d’Asie qui avaient vu Ulysse, Ménélas, et Achille.

Quand il composa l’Iliade (supposé qu’il soit l’auteur de tout cet ouvrage[1]), il ne fit donc que mettre en vers une partie de l’histoire et des fables de son temps. Les Grecs n’avaient alors que des poëtes pour historiens et pour théologiens ; ce ne fut même que quatre cents ans après Hésiode et Homère qu’on se réduisit à

  1. Voyez l’Histoire des poésies homériques, pour servir d’introduction aux observations sur l’Iliade et l’Odyssée, par Dugas-Montbel, 1831, in-8o. Voltaire, en 1771, dans ses Questions sur l’Encyclopédie, reparla de l’Iliade. (B.)