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398 LETTRE CRITIQUE.

major aient été blessés? j'ai bien affaire qu'on me les nomme ! Ils ont versé, dit-on, leur sang pour nous sous les yeux de leur roi, et les louanges qu'on leur donne sont une juste récompense et un aiguillon de la gloire; mais, si cela était, il aurait dû nous donner une liste des morts et des blessés. J'ai un parent, lieutenant de milice, qui a reçu un coup de fusil dans la manche. Pourquoi parle-t-il plutôt des autres que de mon parent ? J'aurais été fort aise de trouver là son nom; mais toutes les choses qui ne m'inté- ressent pas personnellement, ou qui ne sont pas des romans nou- veaux, m'ennuient /■poiirnntablement, horriblement.

On dit que M. le maréchal de Saxe est fort content de l'endroit qui le regarde ; je le trouve bien indulgent.

Maurice, qui, touchant à l'infernalo rive, Rappelle pour son roi son âme fugitive. Et qui demande à Mars, dont il a la valeur, De vivre encore un jour, et de mourir vainqueur.

(Vers 25-28.)

M. l'abbé de *** nous a fait remarquer judicieusement le ridi- cule de nommer un homme par son nom de baptême, et de le faire ensuite prier le dieu Mars. J'ai bien senti l'impertinence de dire qu'un maréchal de France est prêt à descendre sur l'infernale rive, quand il est dangereusement malade. Je trouve fort mauvais, moi, lorsque j'ai la migraine après avoir joué toute la nuit, qu'on vienne me dire que j'ai mauvais visage. On prétend qu'en effet M. le maréchal de Saxe, après la victoire, dit au roi qu'il n'avait demandé au ciel que ce jour de vie, pour voir triompher Sa Majesté : permis à lui de penser de cette façon ; mais, en vérité, cela est bien déplacé dans un poème, qui ne doit donner que des idées douces et riantes.

Pourquoi dit-il que le duc de Grammont

dans l'ÉIysée emporte la douleur

D'ignorer en mourant si son maître est vainqueur ?

(Vers 107-108.)

Voilà un sentiment que je n'ai vu dans aucun des petits romans que je lis. Je voudrais bien savoir si on a de ces idées-là quand on a la cuisse emportée d'un boulet de canon. On me répond à cela que le duc de Grammont aimait véritablement le roi, et qu'il pouvait très-bien avoir eu de pareils sentiments à sa mort : faible réponse, misérable évasion, dont vous sentez la petitesse.

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