possesseur de six chants. Trois ans après, toujours retenu par Mme du Châtelet, Voltaire[1] s’excusait auprès du monarque de n’avoir pu lui remettre tout ce qui était composé. Dans les premiers mois de son séjour à Berlin, en 1750, il satisfit enfin les désirs de Frédéric. La copie qu’il lui offrit était de la main de Tinois, son secrétaire, qui en fit en même temps une copie furtive pour le prince Henri[2], et fut congédié dès que son maître eut connaissance de cette infidélité.
S’il faut en croire Colini[3], un quatorzième chant fut composé à Potsdam en 1752 ; et le quinzième commencé en février 1753, au milieu des dégoûts dont l’auteur était abreuvé à la cour de Prusse. Lorsqu’il fut arrêté à la porte de Francfort, il tira d’un portefeuille quelques papiers et les remit à Colini, en lui disant : « Cachez cela sur vous. » Colini les cacha dans le vêtement[4] qu’un auteur ingénieux a nommé le vêtement nécessaire. Lorsqu’il examina le précieux dépôt, il vit que c’était tout ce que Voltaire avait fait de son poëme.
En 1754, les copies étaient multipliées tellement que Voltaire regardait l’impression comme inévitable, et comme « une bombe qui devait crever tôt ou tard pour l’écraser[5] ». Ces inquiétudes étaient prématurées. Elles redoublèrent en 1755, et il prit le parti de faire écrire par Mme Denis au lieutenant général de police à Paris, pour le prier de faire des recherches : elles n’aboutirent à rien, ainsi qu’on le voit par le rapport[6] de d’Hémery, inspecteur de police, en date du 19 juin 1755. Mal disposé contre Voltaire, d’Hémery croit que l’impression n’aura lieu que du consentement de l’auteur. Dans un second rapport[7], du 24 juillet, il signale la quantité de manuscrits qui sont à Paris dans les mains d’amis ou de connaissances de Voltaire ; « entre autres M. d’Argental, Mme de Graffigny, le sieur Thieriot, Mme Denis, Mme la comtesse de La Marck, M. le duc de La Vallière, qui n’aura sûrement pas manqué d’en donner une expédition à Mme la marquise ».
Cette marquise est Mme de Pompadour, à qui Voltaire en avait adressé une copie à la fin de juin, ou au commencement de juillet[8]. Quant au duc de La Vallière, il lui en avait aussi adressé un manuscrit vers le même temps. Mais ce riche amateur avait très-bien pu s’en procurer un auparavant ; il en avait du moins marchandé un, dont on lui demandait cinquante louis[9].
- ↑ Lettre du 22 septembre 1746.
- ↑ Lettre à Mme Denis, du 3 janvier 1751.
- ↑ Mon Séjour auprès de Voltaire, pages 31 et 59.
- ↑ Mon Séjour auprès de Voltaire, page 85.
- ↑ Lettre à d’Argental, du 8 septembre 1754.
- ↑ Manuscrit que je possède, et qui fait partie d’une collection qui va de 1750 à 1770 inclusivement. (B.)
- ↑ Id.
- ↑ Lettres à d’Argental, des 13 juin et 21 juillet 1755.
- ↑ Voltaire dit mille écus dans ses lettres à Darget, du 13 juin ; à Mme de Fontaine, du 18 juin. Mais il y a exagération dans cette somme, et cette exagération est peut-être du duc de La Vallière.