Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/144

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Qui voit tomber son nez et sa mâchoire,
Qui son oreille, et qui son _humérus_ ;
Qui pour jamais s’en va dans la nuit noire,
Et qui s’enfuit disant ses _oremus._
L’âne, au milieu du sang et du carnage,
Du paladin seconde le courage ;
Il vole, il rue, il mord, il foule aux pieds
Ce tourbillon de faquins effrayés.
Sacrogorgon, abaissant sa visière,
Toujours jurant, s’en allait en arrière ;
Dunois le joint, l’atteint à l’os pubis[1] ;
Le fer sanglant lui sort par le coccix[2] :
Le vilain tombe, et le peuple s’écrie :
" Béni soit Dieu ! le barbare est sans vie. "



Le scélérat encor se débattait
Sur la poussière, et son cœur palpitait,
Quand le héros lui dit : " Ame traîtresse,
L’enfer t’attend ; crains le diable, et confesse
Que l’archevêque est un coquin mitré,
Un ravisseur, un parjure avéré ;
Que Dorothée est l’innocence même,
Qu’elle est fidèle au tendre amant qu’elle aime,
Et que tu n’es qu’un sot et qu’un fripon.
— Oui, monseigneur, oui, vous avez raison :
Je suis un sot, la chose est par trop claire,
Et votre épée a prouvé cette affaire. "
Il dit : son âme alla chez le démon.
Ainsi mourut le fier Sacrogorgon.



Dans l’instant même, où ce bravache infâme
A Belzébuth rendait sa vilaine âme,
Devers la place arrive un écuyer,
Portant salade[3] avec lance dorée :
Deux postillons à la jaune livrée
Allaient devant. C’était chose assurée
Qu’il arrivait quelque grand chevalier.

  1. Pubis, de puberté, os barré qui se joint aux deux hanches, os pubis, os pectinis. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Coccis, ϰόϰϰυξ (kokkux), croupion, placé immédiatement au-dessous de l’os sacrum. Il n’est pas honnête d’être blessé là. (Id., 1762.)
  3. Salade, on devrait dire célade, de celade; mais le mauvais usage prévaut partout. (Id., 1762.)