Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/161

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A délivrer ce que mon cœur adore ;
J’affronterai les plus cruels trépas
Pour vous nantir de votre Rosamore. "



Les deux amants, les deux nouveaux amis,
Partent ensemble, et, sur un faux avis,
Marchent en hâte, et tirent vers Livourne.
Le ravisseur d’un autre côté tourne
Par un chemin justement opposé.
Tandis qu’ainsi le couple se fourvoie,
Au scélérat rien ne fut plus aisé
Que d’enlever sa noble et riche proie.
Il la conduit bientôt en sûreté.
Dans un château des chemins écarté,
Près de la mer, entre Rome et Gaëte,
Masure affreuse, exécrable retraite,
Où l’insolence et la rapacité,
La gourmandise et la malpropreté,
L’emportement de l’ivresse bruyante,
Les démêlés, les combats qu’elle enfante,
La dégoûtante et sale impureté
Qui de l’amour éteint les tendres flammes,
Tous les excès des plus vilaines âmes,
Font voir à l’œil ce qu’est le genre humain
Lorsqu’à lui-même il est livré sans frein.
Du Créateur image si parfaite.
Or voilà donc comme vous êtes faite !



En arrivant, le corsaire effronté
Se met à table, et fait placer les belles
Sans compliment chacune à son côté,
Mange, dévore, et boit à leur santé.
Puis il leur dit : " Voyez, mesdemoiselles,
Qui de vous deux couche avec moi la nuit.
Tout m’est égal, tout m’est bon, tout me duit ;
Poil blond, poil noir, Anglaise, Italienne,
Petite ou grande, infidèle ou chrétienne,
Il ne m’importe ; et buvons. " A ces mots,
La rougeur monte à l’aimable visage
De Dorothée, elle éclate en sanglots ;
Sur ses beaux yeux il se forme un nuage,
Qui tombe en pleurs sur ce nez fait au tour,
Sur ce menton où l’on dit que l’Amour
Lui fit un creux, la caressant un jour ;