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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/193

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Devers le Nil eut le divin Moïse,
Quand dans la mer, suspendue et soumise,
Il engloutit les peuples et les rois.



" Que vois-je ici ? cria-t-il en colère ;
Deux saints patrons, deux enfants de lumière,
Du Dieu de paix confidents éternels,
Vont s’échiner comme de vils mortels !
Laissez, laissez aux sots enfants des femmes
Les passions, et le fer, et les flammes ;
Abandonnez à leur profane sort
Les corps chétifs de ces grossières âmes,
Nés dans la fange, et formés pour la mort :
Mais vous, enfants, qu’au séjour de la vie
Le ciel nourrit de sa pure ambroisie,
Êtes-vous las d’être trop fortunés ?
Êtes-vous fous ? ciel ! une oreille, un nez !
Vous que la grâce et la miséricorde
Avaient formés pour prêcher la concorde,
Pouvez-vous bien de je ne sais quels rois
En étourdis embrasser la querelle ?
Ou renoncez à la voûte éternelle,
Ou dans l’instant qu’on se rende à mes lois.
Que dans vos cœurs la charité s’éveille.
George insolent, ramassez cette oreille,
Ramassez, dis-je ; et vous, Monsieur Denys,
Prenez ce nez avec vos doigts bénis :
Que chaque chose en son lieu soit remise. "



Denys soudain va, d’une main soumise,
Rendre le bout du nez qu’il fit camus.
George à Denys rend l’oreille dévote
Qu’il lui coupa. Chacun des deux marmotte
A Gabriel un gentil _oremus_ ;
Tout se rajuste, et chaque cartilage
Va se placer à l’air de son visage.
Sang, fibres, chair, tout se consolida ;
Et nul vestige aux deux saints ne resta
De nez coupé, ni d’oreille abattue ;
Tant les saints ont la chair ferme et dodue !



Puis Gabriel d’un ton de président :
" Çà qu’on s’embrasse. " Il dit, et dans l’instant
Le doux Denys, sans fiel et sans colère,
De bonne foi baisa son adversaire :