Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/205

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Où la trouver ? dis donc, réponds donc, parle. "



Aux questions qu’enfilait le roi Charle,
Le bon Bonneau conta de point en point
Comme il avait été mis en pourpoint,
Comme il avait servi dans la cuisine,
Comme il avait par fraude clandestine
Et par miracle, à Chandos échappé,
Quand à se battre on était occupé ;
Comme on cherchait cette beauté divine :
Sans rien omettre il raconta fort bien
Ce qu’il savait ; mais il ne savait rien.
Il ignorait la fatale aventure,
Du prêtre Anglais la brutale luxure,
Du page aimé l’amour respectueux.
Et du couvent le sac incestueux.



Après avoir bien expliqué leurs craintes,
Repris cent fois le fil de leurs complaintes,
Maudit le sort et les cruels Anglais,
Tous deux étaient plus tristes que jamais.
Il était nuit ; le char de la grande Ourse
Vers son nadir[1] avait fourni sa course.
Le jacobin dit au prince pensif :
" Il est bien tard ; soyez mémoratif
Que tout mortel, prince ou moine, à cette heure,
Devrait chercher quelque honnête demeure,
Pour y souper, et pour passer la nuit. "
Le triste roi, par le moine conduit,
Sans rien répondre, et ruminant sa peine,
Le cou penché, galope dans la plaine ;
Et bientôt Charle, et le prêtre et Bonneau,
Furent tous trois aux fossés du château.



Non loin du pont était l’aimable page,
Lequel, ayant jeté dans le canal
Le corps maudit de son damné rival,
Ne perdait point l’objet de son voyage.
Il dévorait en secret son ennui,
Voyant ce pont entre sa dame et lui.
Mais quand il vit aux rayons de la lune

  1. Le nadir, en arabe, signifie le plus bas, et le zénith le plus haut. La grande Ourse est l'Arctos des Grecs, qui a donne son nom au pôle arctique. (Note de Voltaire, 1762.)