Haïr est bon, mais aimer vaut bien mieux. "
Denys alors d’une voix assurée
En vers heureux chanta le bon berger
Qui va cherchant sa brebis égarée,
Et sur son dos se plaît à la charger ;
Le bon fermier, dont la main libérale
Daigne payer l’ouvrier négligent
Qui vient trop tard, afin que diligent
Il vienne ouvrer dès l’aube matinale ;
Le bon patron qui, n’ayant que cinq pains
Et trois poissons, nourrit cinq mille humains ;
Le bon prophète, encor plus doux qu’austère,
Qui donne grâce à la femme adultère,
A Magdeleine, et permet que ses pieds
Soient gentiment par la belle essuyés.
Par Magdeleine Agnès est figurée.
Denys a pris ce délicat détour ;
Il réussit : la grand’chambre éthérée
Sentit le trait, et pardonna l’amour.
Du doux Denys l’ode fut bien reçue ;
Elle eut le prix, elle eut toutes les voix.
Du saint Anglais l’audace fut déçue ;
Austin rougit, il fuit en tapinois ;
Chacun en rit, le paradis le hue
Tel fut hué dans les murs de Paris
Un pédant sec, à face de Thersite[1],
Vit délateur, insolent hypocrite,
Qui fut payé de haine et de mépris,
Quand il osa dans ses phrases vulgaires
Flétrir les arts et condamner nos frères.
Pierre à Denys donna deux beaux _agnus_ ;
Denys les baise, et soudain l’on ordonne,
Par un arrêt signé de douze élus,
Qu’en ce grand jour les Anglais soient vaincus
Par les Français et par Charle en personne.
- ↑ Omer Joly de Fleury. Voltaire avait, dès 1761, tracé le portrait du même personnage dans des vers qui ont tout naturellement une grande ressemblance
avec ceux-ci :
Un petit singe à face de Thersite,
Au sourcil noir, à l'œil noir, au teint gris,
Bel esprit faux, qui hait les bons esprits.
Panta Odaï, Étrennes à mademoiselle Clairon, vers lO6-108.