Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/285

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Il le renverse ; et Bonneau pesamment
S’en va tomber sur la troupe mêlée,
Qui de son poids se sentit accablée.
Ciel ! que de cris et que de hurlements !
Le confesseur reprit un peu ses sens ;
Sa grosse panse était juste portée
Dessus Agnès et dessous Dorothée ;
Il se relève, il marche, il court, il fuit ;
Tout haletant le bon Bonneau le suit.
Mais La Trimouille à l’instant s’imagine
Que sa beauté, sa maîtresse divine,
Sa Dorothée était entre les bras
Du Tourangeau qui fuyait à grands pas.
Il court après, il le presse, il lui crie :
" Rends-moi mon cœur, bourreau, rends-moi ma vie,
Attends, arrête. " En prononçant ces mots,
D’un large sabre il frappe son gros dos.
Bonneau portait une épaisse cuirasse,
Et ressemblait à la pesante masse
Qui dans la forge à grand bruit retentit
Sous le marteau qui frappe et rebondit.
La peur hâtait sa marche écarquillée.
Jeanne, voyant le Bonneau qui trottait,
Et les grands coups que l’autre lui portait,
Jeanne casquée, et de fer habillée,
Suit à grands pas La Trimouille, et lui rend
Tout ce qu’il donne au royal confident.
Dunois, la fleur de la chevalerie,
Ne souffre pas qu’on attente à la vie
De La Trimouille, il est son cher appui ;
C’est son destin de combattre pour lui :
Il le connaît ; mais il prend la Pucelle
Pour un Anglais ; il vous tombe sur elle,
Il vous l’étrille ainsi qu’elle étrillait
Le Poitevin, qui toujours chatouillait
L’ami Bonneau, qui lourdement fuyait.



Le bon roi Charle, en ce désordre extrême,
Dans son Bonneau voit toujours ce qu’il aime ;
Il voit Agnès. Quel état pour un roi,
Pour un amant des amants le plus tendre !
Nul ennemi ne lui cause d’effroi ;
Contre une armée il voudrait la défendre.