Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/287

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Son long capuce et sa large tonsure
A sa cervelle avaient servi d’armure.
Il se souvint que notre ami Bonneau
Suivait toujours l’usage antique et beau,
Très-sagement établi par nos pères,
D’avoir sur soi les choses nécessaires,
Muscade, clou, poivre, girofle et sel[1].
Pour Bonifoux, il avait son missel.
Il aperçut une fontaine claire,
Il y courut, sel et missel en main,
Bien résolu d’attraper le malin.



Le voilà donc qui travaille au mystère ;
Il dit tout bas : _Sanctam Catholicam,
Papam, Romam, aquam benedictam_ ;
Puis de Bonneau prend la tasse, et va vite
Adroitement asperger d’eau bénite
Le farfadet né de la belle Alix.
Chez les païens l’eau brûlante du Styx
Fut moins fatale aux âmes criminelles.
Son cuir tanné fut couvert d’étincelles ;
Un gros nuage, enfumé, noir, épais,
Enveloppa le maître et le palais.
Les combattants, couverts d’une nuit sombre,
Couraient encore et se cherchaient dans l’ombre.
Tout aussitôt le palais disparut ;
Plus de combat, d’erreur ni de méprise ;
Chacun se vit, chacun se reconnut ;
Chaque cervelle en son lieu fut remise.
A nos héros un seul moment rendit
Le peu de sens qu’un seul moment perdit :
Car la folie, hélas ! ou la sagesse,
Ne tient à rien dans notre pauvre espèce.
C’était alors un grand plaisir de voir
Ces paladins aux pieds du moine noir,
Le bénissant, chantant des litanies,
Se demandant pardon de leurs folies.

  1. C'est ce qu'on appelait autrefois cuisine de poche, et ce que signifie ce vers d'une comédie :
    Porte cuisine en poche, et poivre concassé.
    (Note de Voltaire, 1702.)

    Le vers cité est de Regnard. Voyez le Joueur, acte IV, scène ix.