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LE POUR ET LE CONTRE.

Serez-vous pour jamais à sa fureur livrées
Pour n’avoir pas su qu’autrefois,
Dans un autre hémisphère, au fond de la Syrie,
Le fils d’un charpentier, enfanté par Marie,
Renié par Céphas, expira sur la croix ?

Je ne reconnais point à cette indigne image
Le Dieu que je dois adorer :
Je croirais le déshonorer
Par une telle insulte et par un tel hommage.


Entends, Dieu que j’implore, entends du haut des cieux
Une voix plaintive et sincère.
Mon incrédulité ne doit pas te déplaire ;
Mon cœur est ouvert à tes yeux :
L’insensé te blasphème, et moi, je te révère ;
Je ne suis pas chrétien ; mais c’est pour t’aimer mieux.

Cependant quel objet se présente à ma vue !
Le voilà, c’est le Christ, puissant et glorieux.
Auprès de lui dans une nue
L’étendard de sa mort, la croix brille à mes yeux.
Sous ses pieds triomphants la mort est abattue ;
Des portes de l’enfer il sort victorieux :
Son règne est annoncé par la voix des oracles ;
Son trône est cimenté par le sang des martyrs ;
Tous les pas de ses saints sont autant de miracles ;
Il leur promet des biens plus grands que leurs désirs ;
Ses exemples sont saints, sa morale est divine ;
Il console en secret les cœurs qu’il illumine ;
Dans les plus grands malheurs il leur offre un appui ;
Et si sur l’imposture il fonde sa doctrine,
C’est un bonheur encor d’être trompé par lui.

Entre ces deux portraits, incertaine Uranie,
C’est à toi de chercher l’obscure vérité,
À toi, que la nature honora d’un génie
Qui seul égale ta beauté.
Songe que du Très-Haut la sagesse éternelle
A gravé de sa main dans le fond de ton cœur
La religion naturelle ;
Crois que de ton esprit la naïve candeur
Ne sera point l’objet de sa haine immortelle ;