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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/392

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Quitte Églé qui l'aimait pour Cliloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le scandale et le bruit,
Colin, plus vigoureux, et pourtant plus fidèle,
Revole vers Lisette en la saison nouvelle ;
Il vient, après trois mois de regrets et d'ennui,
Lui présenter des dons aussi simples que lui.
Il n'a point à donner ces riches bagatelles
Qu'Hébert* vend à crédit pour tromper tant de belles :
Sans tous ces riens brillants il peut toucher un cœur ;
Il n'en a pas besoin : c'est le fard du bonheur.
   L'aigle fier et rapide, aux ailes étendues,
Suit l'objet de sa flamme élancé dans les nues ;
Dans l'ombre des vallons le taureau bondissant
Cherche en paix sa génisse, et plaît en mugissant ;
Au retour du printemps la douce Philomèle
Attendrit par ses chants sa compagne fidèle ;
Et du sein des buissons le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux insectes de l'air.
De son être content, qui d'entre eux s'inquiète
S'il est quelque autre espèce ou plus ou moins parfaite ?
Eh ! qu'importe à mon sort, à mes plaisirs présents,
Qu'il soit d'autres heureux, qu'il soit des biens plus grands ?
   « Mais quoi ! cet indigent, ce mortel famélique,
Cet objet dégoûtant de la pitié publique,
D'un cadavre vivant traînant le reste affreux.
Respirant pour souffrir, est-il un homme heureux ? »
Non, sans doute; et Thomas qu'un esclave détrône,
Ce vizir déposé, ce grand qu'on emprisonne,
Ont-ils des jours sereins quand ils sont dans les fers ?
Tout état a ses maux, tout homme a ses revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle - aurait sous ses lois retenu l'Angleterre ;
Dufresny ^ moins prodigue, et docile au bon sens,
N'eût point dans la misère avili ses talents.
Tout est égal enfin : la cour a ses fatigues,

1. Fameux marchand de curiosités à Paris. Il avait beaucoup de goût, et cela seul lui avait procure une grande fortune. [Note de Voltaire, llj'i.) — Voltaire a cité aussi Hébert dans la Prude, acte I'*', scène iv; voyez t. III du Théâtre, p. 410.

2. Charles Ier.

3. Louis XIV disait : « Il y a deux hommes que je ne pourrai jamais enrichir, Dufresny et Bontemps. » Dufresny mourut dans la misère, après avoir dissipé de grandes richesses ; il a laissé de jolies comédies. {Note de Voltaire, 1748.)