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LETTRE DE M. ERATOU*

A M. GLOCPITRE

AUMÔNIEK DE S. A. S. M. L lî LANDGRAVE.

��Monsieur et cher Ami,

J'apprends avec mépris que le Précis du Cantique des cantiques a encouru la censure de quelques ignorants qui font les entendus. Ces pauvres gens ont jugé un ouvrage hébreu qui a environ trois mille ans d'antiquité comme ils jugeraient un Ijouquet à Iris, ou une jouissance de l'abbé Têtu, ou une chanson de l'abbé de L'Attaignant, imprimée dans le Mercure galant. Jls ne connaissent que nos petits amours de ruelle, ce qu'on appelle des conquêtes ; ils ne peuvent se faire une idée des temps héroïques ou patriar- caux; ils s'imaginent que la nature a été au fond de l'Asie ce qu'elle est dans la paroisse de Saint-André des Arts ou des Arcs, et dans la cour du Palais.

Il faut apprendre à ces pédants petits-maîtres qu'il y a toujours eu une grande différence entre les mœurs des Asiatiques, qui n'ont jamais changé, et celles des badauds de Paris, qui changent tous lès jours. Ils doivent se mettre dans la tête que la princesse Nau- sicaa", fille du roi Alcinoiis, et l'épouse du Cantique des cantiques, et la naïve parente de Booz, et Lia, et Rachel, n'ont rien de commun avec la femme ou la fille d'un marguillier.

Les chastes amours, la propagation de l'espèce humaine, ne faisaient point rougir ; on ne célébrait point l'adultère en chanson : on ne mettait point sur un théâtre d'opéra les amours les plus

��i. Cette lettre est do mai 17G1 ; voyez l'avertisseincnt page 495. Les éditeurs de Kehl ont remarque qu'Eratou est l'anagramme d'Arouct, nom de famille do Voltaire. (B.)

'2. Voyez l'Odyssée, livre VI.

9. — Petits PoIîmes. 32

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