Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/54

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Vont s’enrouer à commenter Cujas,
Avec messieurs[1] il ronfle à l’audience ;
L’après-dînée il assiste aux sermons
Des apprentis dans l’art des Massillons,
À leur trois points, à leurs citations,
Aux lieux communs de leur belle éloquence ;
Dans le parterre il vient bâiller le soir.
PaAux cris du moine il monte en son char noir,
Par deux hiboux traîné dans la nuit sombre.
Dans l’air il glisse, et doucement fend l’ombre.
Les yeux fermés, il arrive en bâillant,
Se met sur Jeanne, et tâtonne, et s’étend ;
Et secouant son pavot narcotique,
Lui souffle au sein vapeur soporifique.
Tel on nous dit que le moine Girard[2],
En confessant la gentille Cadière,
Insinuait de son souffle paillard
De diabloteaux une ample fourmilière.
AiNos deux galants, pendant ce doux sommeil,
Aiguillonnés du démon du réveil,
Avaient de Jeanne ôté la couverture.
Déjà trois dés, roulant sur son beau sein,
Vont décider, au jeu de saint Guilain[3],
Lequel des deux doit tenter l’aventure.
Le moine gagne ; un sorcier est heureux :
Le Grisbourdon se saisit des enjeux ;
Il fond sur Jeanne. Ô soudaine merveille !
Denis arrive, et Jeanne se réveille.
Ô Dieu ! qu’un saint fait trembler tout pécheur !
Nos deux rivaux se renversent de peur.

  1. Messieurs du Parlement.
  2. Le jésuite Girard, convaincu d’avoir eu de petites privautés avec la demoiselle Cadière, sa pénitente, fut accusé de l’avoir ensorcelée en soufflant sur elle. Voyez les notes du chant troisième. (Note de Voltaire, 1762.) — La note à laquelle celle-ci renvoie se rapporte au vers 209. (R.)
  3. « On connaît l’aventure de saint Guilain, qui joua aux trois dés, contre le diable, l’âme d’une pécheresse mourante. Le diable trichait ; saint Guilain fit un miracle : il amena trois sept, et gagna son âme. Le tour n’est pas mal. » Ce vieux conte, digne de la Légende dorée, a été cité cité par Chénier à propos de l’analyse qu’il donne dans sa Leçon sur les fabliaux français, de celui qui a pour titre De saint Pierre et du Jongleur. Un éditeur récent du poëme de la Pucelle a sans doute été induit en erreur par ce passage de Chénier, qu’il a mal compris, quand il a donné a entendre que le miracle de saint Guilain est connu par le fabliau : on n’y trouve rien qui ait rapport à ce saint ni à son miracle. (R.)