Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/139

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dre, pour me faire rentrer dans mon existence que j’aurai perdue ?

CU-SU

C’est-à-dire que si un prince avait égorgé sa famille pour régner, s’il avait tyrannisé ses sujets, il en serait quitte pour dire à Dieu, Ce n’est pas moi, j’ai perdu la mémoire, vous vous méprenez, je ne suis plus la même personne ; pensez-vous que Dieu fût bien content de ce sophisme ?

KOU

Eh bien soit, je me rends* ; je voulais faire le bien pour moi-même, je le ferai aussi pour plaire à l’Être suprême. Je pensais qu’il suffisait que mon ame fût juste dans cette vie, j’espérerai qu’elle sera heureuse dans une autre. Je vois que cette opinion est bonne pour les peuples & pour les princes, mais le culte de Dieu m’embarrasse.

  • Eh bien ! tristes ennemis de la raison & de la vérité, direz-vous encor que cet ouvrage enseigne la mortalité de l’ame ? Ce morceau a été imprimé dans toutes les éditions. De quel front osez-vous donc le calomnier ? Hélas, si vos ames conservent leur caractère pendant l’éternité, elles seront éternellement des ames bien sottes & bien injustes. Non, les auteurs de cet ouvrage raisonnable & utile ne vous disent point que l’ame meurt avec le corps ; ils vous disent seulement que vous êtes des ignorans. N’en rougissez pas ; tous les sages ont avoué leur ignorance, aucun d’eux n’a été assez impertinent pour connaître la nature de l’ame. Gassendi en résumant tout ce qu’a dit l’antiquité, vous parle ainsi. Vous savez que vous pensez, mais vous ignorez quelle espèce de substance vous êtes, vous qui pensez. Vous ressemblez à un aveugle qui sentant la chaleur du soleil, croirait avoir une idée distincte de cet astre. Lisez le reste de cette admirable lettre à Descartes, lisez Locke ; relisez cet ouvrage-ci attentivement, & vous verrez qu’il est impossible que nous ayons la moindre notion de la nature de l’ame, par la raison qu’il est impossible que la créature connaisse les secrets ressorts du Créateur ; vous verrez que sans connaître le principe de nos pensées, il faut tâcher de penser avec justesse, & avec justice, qu’il faut être tout ce que vous n’êtes pas, modeste, doux, bienfaisant, indulgent ; ressembler à Cu-su & à Kou, & non pas à Thomas d’Aquin ou à Scot, dont les ames étaient fort ténébreuses, ou à Calvin ou à Luther, dont les ames étaient bien dures & bien emportées. Tâchez que vos ames tiennent un peu de la nôtre ; alors vous vous moquerez prodigieusement de vous-mêmes.

Quatrième entretien

CU-SU

Que trouvez-vous de choquant dans notre Chu-King, ce premier livre canonique, si respecté de tous les empereurs chinois ? Vous labourez un champ de vos mains royales pour donner l’exemple au peuple, & vous en offrez les prémices au Chang-ti, au Tien, à l’Être suprême ; vous lui sacrifiez quatre fois l’année ;