nommée Normandie, où vous auriez été tout autrement jugé qu’ici. Cela me donna envie de voir la Normandie. J’y allai avec un de mes frères : nous rencontrames à la première auberge un jeune homme qui se désespérait ; je lui demandai quelle était sa disgrace ? il me répondit que c’était d’avoir un frère aîné. Où est donc le grand malheur d’avoir un frère ? lui dis-je ; mon frère est mon aîné, & nous vivons très-bien ensemble. Hélas, monsieur, me dit-il, la loi donne tout ici aux aînés, & ne laisse rien aux cadets. Vous avez raison, lui dis-je, d’être fâché ; chez nous on partage également, & quelquefois les frères ne s’en aiment pas mieux.
Ces petites avantures me firent faire de belles & profondes réflexions sur les loix, & je vis qu’il en est d’elles comme de nos vêtements ; il m’a fallu porter un doliman à Constantinople, & un justaucorps à Paris.
Si toutes les loix humaines sont de convention, disais-je, il n’y a qu’à bien faire ses marchés. Les bourgeois de Déli & d’Agra disent qu’ils ont fait un très-mauvais marché avec Tamerlan : les bourgeois de Londres se félicitent d’avoir fait un très-bon marché avec le roi Guillaume d’Orange. Un citoyen de Londres me disait un jour, C’est la nécessité qui fait les loix, & la force les fait observer. Je lui demandai si la force ne faisait pas aussi quelquefois des loix, & si Guillaume le bâtard & le conquérant ne leur avait pas donné des ordres sans