Aller au contenu

Page:Voltaire - Traité sur la tolérance 1763.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
Traité ſur la Tolérance. Chap. I.

vertes d’un crêpe & baignées de larmes, en faire répandre à leurs Juges.

Cependant cette famille eut encore quelques ennemis, car il s’agiſſait de Religion. Pluſieurs perſonnes, qu’on appelle en France dévotes,[1] dirent hautement qu’il valait bien mieux laiſſer rouer un vieux Calviniſte innocent, que d’expoſer huit Conſeillers de Languedoc convenir qu’ils s’étaient trompés ; on ſe ſervit même de cette expreſſion : « Il y a plus de Magiſtrats que de Calas ;  » & on inférait de là que la famille Calas devait être immolée à l’honneur de la Magiſtrature. On ne ſongeait pas que l’honneur des Juges conſiſte comme celui des autres hommes à réparer leurs fautes. On ne croit pas en France que le Pape, aſſiſté de ſes Cardinaux, ſoit infaillible : on pourrait croire de même que huit Juges de Toulouſe ne le ſont pas. Tout le reſte des gens ſenſés & déſintéreſſés diſaient que l’Arrêt de Toulouſe ſerait caſſé dans toute l’Europe, quand même des conſidérations particulières empêcheraient qu’il fût caſſé dans le Conſeil.

Tel était l’état de cette étonnante aventure, lorſqu’elle a fait naître à des perſonnes impartiales, mais

  1. Dévot vient du mot Latin devotus. Les Devoti de l’ancienne Rome étaient ceux qui ſe dévouaient pour le ſalut de la République ; c’étaient les Curtius, les Décius.