Page:Voltaire - Traité sur la tolérance 1763.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
Traité ſur la Tolérance. Chap. VIII.


    J’ajouterai cette remarque, que Philon regarde Tibère comme un Prince ſage & juſte. Je crois bien qu’il n’était juſte qu’autant que cette juſtice s’accordait avec ſes intérêts ; mais le bien que Philon en dit, me fait un peu douter des horreurs que Tacite & Suétone lui reprochent. Il ne me paraît point vraiſemblable qu’un Vieillard infirme de ſoixante & dix ans, ſe ſoit retiré dans l’Iſle de Caprée pour s’y livrer à des débauches recherchées qui ſont à peine dans la nature, & qui étaient même inconnues à la jeuneſſe de Rome la plus effrénée : ni Tacite, ni Suétone n’avaient connu cet Empereur ; ils recueillaient avec plaiſir des bruits populaires ; Octave, Tibère, & leurs Succeſſeurs avaient été odieux, parce qu’ils régnaient ſur un Peuple qui devait être libre : les Hiſtoriens ſe plaiſaient à les diffamer, & on croyait ces Hiſtoriens ſur leur parole, parce qu’alors on manquait de Mémoires, de Journaux du temps, de Documents : auſſi les Hiſtoriens ne citent perſonne ; on ne pouvait les contredire ; ils diffamaient qui ils voulaient, & décidaient à leur gré du jugement de la poſtérité. C’eſt au Lecteur ſage de voir juſqu’à quel point on doit ſe défier de la véracité des Hiſtoriens, quelle créance on doit avoir pour les faits publics atteſtés par des Auteurs graves, nés dans une Nation éclairée ; & quelles bornes on doit mettre à ſa crédulité ſur des Anecdotes que ces mêmes Auteurs rapportent ſans aucune preuve.