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Traité ſur la Tolérance. Chap. IX.

à Rome.[1] Il y avait eu ſouvent des ſéditions dans Antioche, ville toujours turbulente, où Ignace était Évêque ſecret des Chrétiens : peut-être ces ſéditions,

  1. On ne révoque point en doute la mort de St. Ignace ; mais qu’on liſe la Relation de ſon martyre, un homme de bon ſens ne ſentira-t-il pas quelques doutes s’élever dans ſon eſprit ? L’Auteur inconnu de cette Relation dit, que Trajan crut qu’il manquerait quelque choſe à ſa gloire, s’il ne ſoumettait à ſon Empire le Dieu des Chrétiens. Quelle idée ! Trajan était-il un homme qui voulût triompher des Dieux ? Lorſqu’Ignace parut devant l’Empereur, ce Prince lui dit : Qui es-tu, eſprit impur ? Il n’eſt guères vraiſemblable qu’un Empereur ait parlé à un priſonnier, & qu’il l’ait condamné lui-même ; ce n’eſt pas ainſi que les Souverains en uſent. Si Trajan fit venir Ignace devant lui, il ne lui demanda pas : Qui es-tu ? il le ſavait bien. Ce mot, eſprit impur, a-t-il pu être prononcé par un homme comme Trajan ? Ne voit-on pas que c’eſt une expreſſion d’exorciſte, qu’un Chrétien met dans la bouche d’un Empereur ? Eſt-ce là, bon Dieu ! le ſtyle de Trajan ?

    Peut-on imaginer qu’Ignace lui ait répondu qu’il ſe nommait Théophore, parce qu’il portait Jesus dans ſon cœur, & que Trajan eût diſſerté avec lui ſur Jesus-Christ ? On fait dire à Trajan, à la fin de la converſation : Nous ordonnons qu’Ignace, qui ſe glorifie de porter en lui le Crucifié, ſera mis aux fers, &c. Un Sophiſte, ennemi des Chrétiens, pouvait appeller Jésus-Christ le Crucifié ; mais il n’eſt guères probable que dans un Arrêt on ſe fût ſervi de ce terme. Le ſupplice de la croix était ſi uſité chez les Romains, qu’on ne pouvait, dans le ſtyle des Loix, déſigner par le Crucifié l’objet du culte des Chrétiens, & ce n’eſt pas ainſi que les Loix & les Empereurs prononcent leurs jugements.