Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/136

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point. Les deux partis appelèrent à leur secours saint Thomas d’Aquin. Il s’agissait de le bien entendre, et c’est là le grand effort de la théologie. Les uns et les autres convenaient des paroles. Ils avouaient que saint Thomas a dit, liv. II, quest. 42, art. 2 :

Que ceux qui délivrent la multitude d’un méchant roi sont très-louables ;

Que le mauvais prince est le seul séditieux ;

Qu’il y a des cas où celui qui le tue mérite récompense ;

Que, selon le même saint Thomas d’Aquin, liv. II, quest. 12, un prince qui a apostasié n’a plus de droit sur ses sujets ;

Que, s’il est excommunié, ses sujets sont ipso facto délivrés de leur serment de fidélité, ejus subditi juramento fidelitatis liberati sunt ;

Que comme il est permis de résister aux larrons, il est permis de résister aux mauvais princes ; ut sicut licet resistere latronibus, ita licet in tali casu resistere malis principibus. Liv. II, quest. 69.

Tout cela se trouve, avec beaucoup d’autres choses également édifiantes, dans l’Appel à la raison imprimé en 1762, sous le titre de Bruxelles[1].

On prétend que chez les jacobins, quand il meurt un docteur en théologie, on met une bible[2] de saint Thomas dans sa bière. Des profanes, ayant lu ces grandes questions dans saint Thomas d’Aquin, ont prétendu qu’il eût été à désirer, pour la tranquillité publique, que toutes les Sommes de ce bonhomme eussent été enterrées avec tous les jacobins. Mais ce sentiment me paraît un peu trop dur.

Après cette dispute, qui intéressa vivement dix ou douze lecteurs, il en survint une autre entre les mêmes combattants, au sujet du livre De Matrimonio, du révérend père Sanchez[3] regardé en Espagne et par tous les jésuites du monde comme un Père de l’Église. Cette dispute se trouve à la page 262 du Nouvel Appel à la raison[4], et il faut avouer que la raison doit être bien étonnée qu’on soumette un pareil procès à son tribunal.

  1. Appel à la raison des écrits et libelles publiés par la passion contre les jésuites de France ; Bruxelles, 1762, in-12, daté du 15 avril. Une nouvelle édition de la même année, dont chacune des deux parties a sa pagination, est augmentée. L’Appel est attribué au P. Balbani. C’est à Caveyrac que l’on attribue le Nouvel Appel à la raison des écrits et libelles publiés par la passion contre les jésuites de France ; 1762, in-12. Le parlement a condamné Caveyrac comme auteur de l’Appel ; voyez, tome XXV, la note 1 de la page 6.
  2. Toutes les éditions portent Bible ; mais je pense qu’il faut lire Somme. (B.)
  3. Voltaire a déjà parlé de Sanchez, tome XXIV, page 98 ; mais c’est pour un passage autre que celui dont il est question ici.
  4. Voyez, ci-dessus, la note 1.