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dialogues philosophiques

je parlai de boire, je dis des ordures, et avec ce secret tout me fut permis. Les gens d’esprit y entendirent finesse, et m’en surent gré ; les gens grossiers ne virent que les ordures, et les savourèrent : tout le monde m’aima, loin de me persécuter.


LUCIEN. — Vous me donnez une grande envie de voir votre livre. N’en auriez-vous point un exemplaire dans votre poche ? Et vous, Érasme, pourriez-vous aussi me prêter vos facéties ?


(Ici Érasme et Rabelais donnent leurs ouvrages à Lucien, qui en lit quelques morceaux, et, pendant qu’il lit, ces deux philosophes s’entretiennent.)


RABELAIS, à Érasme. — J’ai lu vos écrits, et vous n’avez pas lu les miens, parce que je suis venu un peu après vous. Vous avez peut-être été trop réservé dans vos railleries, et moi trop hardi dans les miennes ; mais à présent nous pensons tous deux de même. Pour moi, je ris quand je vois un docteur arriver dans ce pays-ci.


ÉRASME. — Et moi je le plains ; je dis : Voilà un malheureux qui s’est fatigué toute sa vie à se tromper, et qui ne gagne rien ici à sortir d’erreur.


RABELAIS. — Comment donc ! n’est-ce rien d’être détrompé ?