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dialogues philosophiques

merce de cuirs, négoce réputé honteux parmi nous. Il envoya ses deux enfants dans mon école. Les autres disciples leur reprochèrent leur père le corroyeur ; ils furent obligés de sortir. Le père irrité n’eut point de cesse qu’il n’eût ameuté contre moi tous les prêtres et tous les sophistes. On persuada au conseil des cinq cents que j’étais un impie qui ne croyait pas que la Lune, Mercure et Mars fussent des dieux. En effet, je pensais comme à présent qu’il n’y a qu’un Dieu maître de toute la nature. Les juges me livrèrent à l’empoisonneur de la République ; il accourcit ma vie de quelques jours : je mourus tranquillement à l’âge de soixante et dix ans ; et depuis ce temps-là je passe une vie heureuse avec tous ces grands hommes que vous voyez et dont je suis le moindre. »

Après avoir joui quelque temps de l’entretien de Socrate, je m’avançai avec mon guide dans un bosquet situé au-dessus des bocages où tous ces sages de l’antiquité semblaient goûter un doux repos.

Je vis un homme d’une figure douce et simple qui me parut âgé d’environ trente-cinq ans. Il jetait de loin des regards de compassion sur ces amas d’ossements blanchis, à travers lesquels on m’avait fait passer pour arriver à la demeure des sages. Je fus étonné de lui trouver les pieds enflés et sanglants, les mains de même, le flanc percé, et les côtes écorchées de coups de fouet.

« Eh, bon Dieu ! lui dis-je, est-il possible qu’un juste, un sage soit dans cet état ? je viens d’en voir