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dialogues philosophiques

là le but de la nature ? Tout le monde crie contre les moines ; et moi je les plains. La plupart, au sortir de l’enfance, ont fait pour jamais le sacrifice de leur liberté ; et sur cent il y en a quatre-vingts au moins qui sèchent dans l’amertume. Où sont donc ces grandes consolations que votre religion donne aux hommes ? Un riche bénéficier est consolé, sans doute, mais c’est par son argent, et non par sa foi. S’il jouit de quelque bonheur, il ne le goûte qu’en violant les règles de son état. Il n’est heureux que comme homme du monde, et non pas comme homme d’église. Un père de famille, sage, résigné à Dieu, attaché à sa patrie, environné d’enfants et d’amis, reçoit de Dieu des bénédictions mille fois plus sensibles.

De plus, tout ce que vous pourriez dire en faveur des mérites de vos moines, je le dirais à bien plus forte raison des derviches, des marabouts, des fakirs, des bonzes. Ils font des pénitences cent fois plus rigoureuses ; ils se sont voués à des austérités plus effrayantes ; et ces chaînes de fer sous lesquelles ils sont courbés, ces bras toujours étendus dans la même situation, ces macérations épouvantables, ne sont rien encore en comparaison des jeunes femmes de l’Inde qui se brûlent sur le bûcher de leurs maris, dans le fol espoir de renaître ensemble.

Ne vantez donc plus ni les peines ni les consolations que la religion chrétienne fait éprouver. Convenez hautement qu’elle n’approche en rien du culte raisonnable qu’une famille honnête rend à