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dialogues philosophiques


LE MANDARIN. — Oui, si les hommes commandent des choses évidemment criminelles, par exemple, d’égorger votre père et votre mère, d’empoisonner vos amis ; mais il me semble qu’il n’est pas injuste de refuser à un étranger la permission d’apporter le trouble dans nos États, et de balbutier dans notre langue, qu’il prononce toujours fort mal, des choses que ni lui ni nous ne pouvons entendre.


LE JÉSUITE. — J’avoue que je ne prononce pas tout à fait aussi bien que vous ; je fais gloire quelquefois de ne pas entendre un mot de ce que j’annonce : pour le trouble et la discorde, c’est vraiment tout le contraire, c’est la paix que j’apporte.


LE MANDARIN. — Vous souvenez-vous de la fameuse requête présentée à nos neuf tribunaux suprêmes, au premier mois de l’année que vous appelez 1717 ? En voici les propres mots qui vous regardent, et que vous avez conservés vous-mêmes : « Ils vinrent d’Europe à Manille sous la dynastie des Ming. Ceux de Manille faisaient le commerce avec les Japonais. Ces Européens se servirent de leur religion pour gagner le cœur des Japonais ; ils en séduisirent un grand nombre. Ils attaquèrent ensuite le royaume en dedans et en dehors, et il ne s’en fallut presque rien qu’ils s’en rendissent tout à fait les maîtres. Ils répandent dans nos provinces de grandes sommes d’argent ; ils rassemblent, à certains jours, des gens de la lie du peuple mêlés