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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/375

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leurs hôtes à la mi-novembre, ils eurent, au coin du feu, de longues causeries moroses et presque tendres. Ensemble, ils examinèrent l’absurdité de la vie, l’ennui des plaisirs mondains, le vide de la plupart des sentiments ; après ces importantes constatations, ils en vinrent à se féliciter mutuellement sur l’agrément solide que leur donnait leur amitié sauvée des orages ; cela ne les remit pas de bonne humeur, mais ils en furent rapprochés. Lorsque, quinze jours plus tôt qu’elle, M. des Moustiers revint à Paris, il eut, en quittant Jacqueline, une petite émotion délicate qu’elle partagea.

Seule à Blancheroche, elle cultiva son spleen avec un soin savant. Bien résolue, d’abord, à faire attendre ce pardon que Marken n’avait pas demandé, elle adoucissait chaque jour les termes de la réponse qu’elle entendait faire à la lettre qu’il devait écrire. Les âpres ironies du début, la mélancolie désabusée, la clémence finale lui encombraient la pensée. Elle s’affirmait que bientôt elle ne songerait plus à Étienne, sa dignité lui en imposait l’obligation. Elle se préparait à cet oubli en y pensant sans cesse. Elle avait aussi une impression qui l’affaiblissait. Pour qu’il eût retrouvé si vite après les baisers, la douceur, l’espoir offert, sa mauvaise personnalité cynique, il fallait qu’elle se fût trompée en croyant avoir une telle prise sur lui. Se souvenant des infidélités d’André, de sa rupture avec le petit poète, de l’oubli d’Erik Hansen, des fins piteuses de tant de flirts ébauchés, elle se persuadait qu’il y avait en elle quelque manque d’énergie vitale, qui la rendait impropre à exciter un de ces grands sentiments