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Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/376

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complets qu’elle souhaitait, comme elle avait souhaité — tout aussi vainement — faire d’elle-même un être libre, puis secourir la douleur humaine. Elle ne pouvait être ni adorée ni bienfaisante et la certitude de son incapacité à se réaliser s’insinua en elle et la rendit misérable. Elle chercha dans la musique un rappel de cette énergie ambitieuse de bien faire, qui, à Bayreuth, l’avait poussée vers Erik et Léonora dans l’espoir d’une vie supérieure, et vers André dans l’espoir d’une vie ardente. Mais elle ne retrouva rien de la belle exaltation. Quand elle désespérait de cette reconstitution d’elle-même, qu’elle essayait de tirer des accords héroïques de Siegfried, elle jetait la partition et prenait celle de Tristan. Pendant des heures, elle jouait le troisième acte, l’acte de l’attente, du désir vénéneux, de la mort amoureuse et libératrice, et s’y brisait les nerfs. Cette musique-là ne manquait pas à faire son office. Dès les accords sourds qui montrent l’immensité désespérante et vide de la mer, le souvenir d’Étienne s’imposait plus fort, et il se rapprochait à mesure que s’approfondissait le drame du désir mortel. Elle voyait tout contre elle ces yeux extraordinaires qui parlaient comme une voix brûlante, prenaient comme des mains avides, se posaient comme des baisers voraces, ces yeux qui un moment avaient été siens et qui maintenant devaient exercer sur d’autres leur pouvoir dominateur.

Lorsqu’elle en avait assez de cette musique, elle se jetait sur un divan et y restait longtemps à se répéter que personne ne l’aimait, ni ne l’avait jamais aimée, qu’elle était seule pour toujours, et qu’aucune faculté