Page:Voragine - Légende dorée.djvu/476

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« Je sais, mon frère Gérard, que bientôt nous partirons d’ici pour entrer dans un monastère ! » Et, la même nuit, les chaînes du prisonnier tombèrent, la porte de la prison s’ouvrit ; et Gérard dit à son frère qu’il avait changé d’avis et voulait se faire moine.

L’an du Seigneur 1112, la quinzième année de l’institution du couvent de Cîteaux, Bernard entra dans ce couvent avec plus de trente compagnons. Il était alors âgé d’environ vingt-deux ans.

Au moment où Bernard quittait la maison paternelle avec ses frères, Guido, qui était l’aîné, aperçut le petit Nivard, le plus jeune de ses frères, qui jouait sur la place avec d’autres enfants. « Hé — lui dit-il — mon frère Nivard, c’est sur toi seul que va reposer l’administration de nos biens terrestres ! » Mais l’enfant, mûri par la foi, répondit : « Vous voulez donc avoir pour vous le ciel et me laisser la terre ? Ce n’est point là un partage équitable ! » Il resta quelque temps encore auprès de son père, et alla, lui aussi, se faire moine, dès qu’il fut en âge.

Quant à Bernard, aussitôt qu’il fut entré en religion, tout son esprit fut si profondément occupé et absorbé par Dieu que la vie sensible cessa d’exister pour lui. Habitant depuis plus d’un an déjà la cellule des novices, il ne savait pas encore de quelle forme en était la voûte. Passant la plupart de son temps dans la chapelle, il était persuadé que le mur près duquel il se tenait n’avait qu’une seule fenêtre, tandis qu’en réalité il en avait trois.

L’abbé de Cîteaux envoya des frères pour construire une maison à Clairvaux, et désigna Bernard pour être leur abbé. Bernard vécut là dans une extrême pauvreté, ne mangeant souvent qu’une sorte de soupe faite avec des feuilles de hêtre. Il veillait la nuit, au delà des forces humaines, tenant le sommeil pour l’équivalent de la mort, et ne regrettant rien davantage que les quelques instants perdus à dormir. Il ne trouvait aucun plaisir, non plus, dans la nourriture, et ne mangeait que par force, ayant même perdu la faculté de discerner la saveur des mets. C’est ainsi qu’un jour il but de l’huile