Page:Voragine - Légende dorée.djvu/475

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s’accoupler à lui. Elle se leva de son lit, et alla s’étendre dans le lit de son hôte. Mais celui-ci, dès qu’il sentit quelqu’un près de lui, se mit à crier : « Au voleur ! Au voleur ! » Aussitôt la femme s’enfuit, toute la maison fut sur pied, on alluma des lanternes, on chercha le voleur. Puis, comme on ne trouvait personne, chacun retourna dans son lit et se rendormit, à l’exception de la dame, qui, ne pouvant dormir, de nouveau se leva et entra dans le lit de Bernard. Et, de nouveau, le jeune homme se mit à crier : « Au voleur ! » Nouvelle alerte, nouvelles investigations. Et, une troisième fois encore, la dame se vit repoussée de la même façon, si bien qu’elle finit par renoncer à son mauvais dessein, soit par crainte ou par découragement. Or le lendemain, en route, les compagnons de Bernard lui demandèrent pourquoi il avait tant de fois rêvé de voleurs. Et il leur dit : « J’ai eu, en effet, cette nuit, à repousser les assauts d’un voleur : car mon hôtesse a essayé de m’enlever un trésor que je n’aurais plus jamais recouvré si je l’avais perdu ! »

Tout cela persuada à Bernard que c’était chose peu sûre de cohabiter avec le serpent. Il projeta donc de s’enfuir du monde, et d’entrer dans l’ordre de Cîteaux. Ce qu’apprenant, ses frères voulurent d’abord, par tous les moyens, le détourner de son projet. Mais Dieu lui accorda tant de faveurs que non seulement lui-même ne fut point détourné de son projet : il convertit encore à son projet tous ses frères et bon nombre d’amis. Un de ses frères nommé Gérard, qui était dans l’armée, estimait particulièrement folle l’intention de Bernard. Alors celui-ci, déjà tout enflammé de foi, et excité en outre par son amour fraternel, dit à Gérard : « Je sais, je sais, mon frère, seule la souffrance t’amènera à m’entendre ! » Puis, lui mettant un doigt sur l’aîne : « Hélas, le jour est prochain où une lance percera ce flanc et ouvrira la voie, dans ton cœur, au projet que maintenant tu désapprouves chez moi ! » Et en effet, peu de jours après, Gérard fut blessé d’un coup de lance à l’endroit que Bernard lui avait désigné ; après quoi, il fut pris par l’ennemi et jeté en prison. Là, Bernard vint le trouver, et lui dit :