Page:Voragine - Légende dorée.djvu/479

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comme il ne pouvait songer à la séparer de son mari, il lui interdit, en premier lieu, tous les plaisirs mondains, et lui recommanda de suivre l’exemple de leur mère. Et la sœur, de retour chez elle, changea si complètement que, vivant parmi le siècle, elle menait la vie d’une nonne dans un cloître. Elle finit même, à force de prières, par obtenir de son mari qu’il consentît à la rupture du lien conjugal, et lui permît d’entrer dans un couvent.

Un jour, Bernard, malade et presque à bout de forces, fut emporté en esprit devant le tribunal de Dieu. Et Satan y vint, de son côté, la bouche remplie d’accusations injustes contre lui. Et, quand l’adversaire eut fini de parler, Bernard, confus et troublé, se borna à répondre : « Je l’avoue, je ne suis point digne d’obtenir le ciel par mes propres mérites. Mais comme mon maître Jésus a obtenu le ciel par deux mérites, à savoir l’héritage de son père et les souffrances de sa passion, j’ai l’espoir que, se contentant d’un seul de ces mérites, il voudra bien me faire don de l’autre ! » Ce qu’entendant, l’ennemi s’en alla tout honteux, et Bernard s’éveilla de sa vision.

Par l’excès de son abstinence, de son travail, et de ses veilles, il avait fatigué son corps au point d’être presque toujours malade, et d’avoir peine à suivre les offices du couvent. Un jour qu’il se sentait en fort mauvais état, les prières des frères eurent pour effet de lui rendre un peu de santé. Sur quoi, les réunissant tous autour de lui, il leur dit : « Pourquoi retenez-vous le pauvre homme que je suis ? Vous êtes si forts que vous l’emportez sur moi, là-haut : mais, de grâce, accordez-moi de m’en aller de ce monde ! »

Plusieurs villes l’élurent pour évêque, entre autres Gênes et Milan. Et il n’osait ni accepter ni refuser, disant seulement qu’il ne s’appartenait point, mais était délégué pour le service d’autrui. Et, d’autre part, sur son conseil, ses frères avaient obtenu du Souverain Pontife la promesse que personne ne pourrait leur enlever celui qui était leur joie et leur réconfort.

Un jour que Bernard était allé chez les Chartreux et