Page:Voragine - Légende dorée.djvu/480

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les avait édifiés par sa vertu, le prieur des Chartreux fut cependant frappé de voir que la selle de son cheval était d’une élégance inaccoutumée, ce qui semblait dénoter un certain goût de luxe. Mais quand on rapporta à Bernard l’observation du prieur, il demanda avec surprise quelle était cette selle : car il était venu de Clairvaux jusqu’à la Chartreuse sans même voir sur quel siège il était assis. Une autre fois, comme il avait marché toute la journée le long du lac de Lausanne, ses compagnons lui demandèrent, le soir, ce qu’il en pensait ; et il leur répondit ingénument qu’il ne savait pas même où était ce lac. Toujours on le trouvait en prière, ou en méditation, ou occupé à lire ou à écrire, ou à s’entretenir avec ses Frères. Un jour, comme il prêchait devant le peuple, et que tous buvaient ses paroles, l’idée lui vint soudain de se dire : « Tu prêches vraiment très bien, et on a plaisir à t’entendre ! » Alors, devinant la tentation qui se cachait sous cette idée, il se demanda s’il ne ferait pas bien de cesser de parler. Mais aussitôt, réconforté du secours divin, il répondit tout bas au tentateur : « Ce n’est pas toi qui m’as fait commencer de parler, ce n’est pas toi qui m’empêcheras d’achever ! » Après quoi il acheva tranquillement sa prédication.

Un moine qui, dans le siècle, avait été un ribaud et un joueur, fut tenté par le malin esprit et voulut rentrer dans le siècle. Bernard, le voyant bien décidé, lui demanda de quoi il vivrait. Et le moine : « Je sais jouer aux dés, et de cela je vivrai ! » Et Bernard : « Si je te confie un capital, me promets-tu de revenir tous les ans partager tes gains avec moi ? » Le moine, tout joyeux, le lui promit volontiers. Donc Bernard lui fit donner vingt sols et le laissa partir. Or le moine, dès qu’il se trouva libre, perdit toute la somme, et revint, plein de honte, à la porte du couvent. Aussitôt Bernard s’avança vers lui entendant la main, comme pour recevoir la moitié de son gain. Et lui : « Hélas, mon père, je n’ai rien gagné, et j’ai même été dépouillé de notre capital ! Je ne puis que m’offrir moi-même en échange de la somme perdue ! » Et Bernard lui répondit avec bonté : « Si c’est ainsi, mieux