Page:Voragine - Légende dorée.djvu/669

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après, son corps conservait les traces des coups.

Dans son humilité, elle n’admettait point que ses servantes lui donnassent le nom de maîtresse, ni lui parlassent autrement qu’on parle à un inférieur. Elle lavait elle-même tous les ustensiles de cuisine, s’ingéniant à les cacher afin que ses servantes ne pussent les laver pour elle. Et elle leur disait que, si elle avait pu connaître une manière de vivre plus méprisable encore, c’est avec joie qu’elle l’aurait adoptée.

Ces humbles tâches ne l’empêchaient point de se livrer assidûment à la contemplation ; et souvent elle avait des visions célestes. Souvent aussi sa prière était si fervente qu’elle enflammait d’autres personnes. Appelant un jour à elle un jeune homme luxueusement vêtu, elle lui dit : « Tu parais avoir une vie bien dissolue, tandis que tu devrais t’occuper de servir ton créateur. Veux-tu que je prie Dieu pour toi ? » Et lui : « Je le veux, et je t’en supplie vivement ! » Elle se mit donc en prière et le jeune homme pria avec elle. Trois fois le jeune homme lui demanda de cesser de prier, car il se sentait envahi d’une flamme qui le consumait. Mais elle pria jusqu’au bout ; et, quand elle eut fini, le jeune homme, illuminé de la grâce divine, revint à lui, et entra aussitôt dans l’ordre des Frères Mineurs.

Son nouveau genre de vie, au reste, ne la refroidit point dans son zèle pour les œuvres de miséricorde. Ayant reçu en dot une somme de deux mille marcs, elle en distribua une partie aux pauvres, et, avec le reste, fit construire à Marbourg un grand hôpital. Aussi tous l’accusaient-ils de dissipation et de prodigalité. Couramment on la traitait de folle ; et, comme elle recevait avec joie toutes les injures, on-lui disait que, pour montrer tant de joie, elle avait bien vite oublié le souvenir de son mari.

Et elle, après avoir construit son hôpital, ne pensa plus qu’à devenir l’humble servante des pauvres. Elle-même les baignait, les couvrait dans leur lit, et disait en souriant à ses compagnes : « Que Dieu est bon de nous permettre ainsi de le baigner et de le couvrir ! » Une nuit, ayant à soigner un enfant borgne et rempli de vermine,