Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/139

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que me cause l’art, c’est qu’il peut toujours vous apparaître sous un aspect de plus en plus serein. Vous avez des tableaux et vous les aimez, vous lisez, vous étudiez, vous écoutez ; vous retirez de tout cela ce qui vous semble digne et noble, et demeurez insensible à ce que vous pouvez négliger. Toutes vos lettres, même les dernières de cet hiver, s’accordent sur ce point que vous est dévolu le bonheur d’une paisible et douce jouissance. Le sens de cette jouissance vous aura été pleinement révélé maintenant : elle est peut-être pour vous ce qu’est pour moi mon activité, peut-être ma détresse. Cependant je m’imagine souvent que, moi aussi, je serais capable de pareille jouissance et que, seule, ma mission m’en écarte. Quand je considère ce que je puis de nouveau supporter, il me faut m’étonner et tenir pour injustifié le désir si ardent d’un repos absolu et solitaire. Et pourtant un certain repos intérieur m’accompagne toujours : celui de la plus profonde et complète résignation. Une incrédulité parfaitement exempte de haine, mais d’autant plus sûre, s’est emparée de moi : mon espérance se trouve tellement réduite à rien et, notamment, toutes mes relations avec les gens qui m’approchent reposent sur des fondements si légers, malgré le libre cours donné parfois à mon naturel, souvent très communicatif, que tout ébranlement est ici impossible.