Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/146

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elle-même m’a laissé au fond passablement indifférent. Si je n’avais eu en vue qu’un succès extérieur, il m’aurait fallu, naturellement, procéder d’une toute autre façon ; mais c’est justement ce dont je suis incapable. Un tel succès ne pouvait compter pour moi que comme une suite du succès intime de la chose. La possibilité d’une représentation vraiment belle d’une de mes œuvres me séduisait : lorsqu’il me fallut l’abandonner, j’étais déjà bel et bien battu. Ce qui m’est advenu n’était que le juste châtiment de m’être encore une fois fait illusion : il ne m’a plus touché profondément. La représentation de mon œuvre m’était si étrangère, que ce qui lui arrivait ne me regardait pas en réalité ; je pouvais assister à tout cela comme à un spectacle. Si l’accident a des suites ou non, la question à présent me laisse froid : tout ce que je ressens à ce propos, c’est de la fatigue, du dégoût…

Ce qui réellement me rongeait, et cela seul, — c’était le sentiment, aussitôt revenu, que, de chances aussi incalculablement folles que celles d’un succès parisien, une de mes œuvres les plus intimes[1] et, du même coup, tout mon avenir devaient dépendre si étroitement. Cela est si horrible et si insensé que, pendant tout un temps, le plus sage me parut

  1. Tristan et Isolde. (Voir plus haut : lettre 101.)