Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/173

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long : pendant deux grandes nuits et toute une journée, je fus serré sans recours entre le passé et le présent, et m’enfonçai ainsi droit dans le gris. Il me fallait un travail nouveau ; — sinon, c’était fini !… Malheureusement, mon activité visuelle est de plus en plus émoussée : rien n’attache mon regard, et tout ce qui est local, avec ses tenants et aboutissants, fût-ce les plus grands chefs-d’œuvre de peinture, ne me distrait pas, m’est indifférent. Mon œil ne me sert plus qu’à distinguer le jour de la nuit, la clarté de l’obscurité. C’est vraiment la mort, pour ce qui est des relations avec l’extérieur : je ne vois plus que les images intérieures, et celles-ci réclament uniquement le son.

Mais aucune image passionnée ne voulut plus devenir claire en moi durant ce voyage dans le gris : le monde m’apparaissait réellement comme un jouet. Et cela me ramena vers Nuremberg, où j’avais passé une journée, l’été dernier. Il y a quantité de jolies choses à voir là !

Cela eut un écho en moi, comme une Ouverture pour les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Rentré dans mon hôtel, à Vienne, je travaillai avec une hâte extraordinaire au plan : cela me fit du bien d’observer, à ce propos, combien ma mémoire était restée claire, combien ma fantaisie était abondante et prompte à l’invention ! C’était le salut, de même qu’un com-