Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/103

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romps les liens de la nature ; à ce prix, tu trouveras la voie libre vers le salut ! »

Alors nous serions libérés : Ananda et Savitri ! Mais il n’en est pas ainsi. Car, vois ! cela même, cette connaissance et cette claire pénétration, elles refont de moi un poète, elles me ramènent vers l’art. Au moment où elles me viennent, elles m’apparaissent comme des images, avec la plus intense, la plus expressive visibilité, — mais comme des images qui me ravissent. Il faut que j’examine de plus près, plus attentivement, pour voir mieux, plus profondément, saisir les traits, arriver à l’exécution, donner la vie à cette image comme si elle était ma propre création. Pour cela j’ai besoin de dispositions favorables, d’enthousiasme, de loisir ; il me faut écarter les nécessités vulgaires, les distractions banales de la vie, et tout cela doit être conquis sur cette vie même, si maussade, si opiniâtre, si hostile partout, dont je ne puis m’approcher que de la façon qui lui convienne, la seule qu’elle comprenne ! Ainsi je dois tâcher éternellement, le remords dans l’âme, de vaincre l’erreur que je nourris moi-même — le souci, l’exaspération, la détresse —, rien que pour dire ce que je vois et ce que je ne puis être ! Pour ne point succomber, je tiens mon regard fixé sur toi ; plus fort je m’écrie : « Aide-moi, demeure à mes côtés ! », plus tu t’éloignes ; et une voix me répond : « Dans ce monde, où tu te

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