Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/105

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démarche pour acquérir pareil instrument. Je ne mettais d’intention sérieuse dans aucun de mes projets ; tout m’était indifférent ; je ne m’occupais de rien avec assiduité. Tout autre fut ma visite chez Madame Érard : je m’enthousiasmai pour cette personne mesquine et parfaitement insignifiante, et — je l’appris dans la suite — je l’entraînai elle-même en plein enthousiasme. J’acquis l’instrument comme par jeu, je saisis l’occasion au vol. Merveilleux instinct de la nature, qui s’exprime en chaque individu suivant son caractère, toujours comme un instinct de conservation !…. L’importance de cette acquisition allait me devenir de plus en plus claire. Le 2 Mai, peu de temps avant la date à laquelle tu commenças ton « voyage de recréation, » lorsque j’allais me sentir tellement abandonné, arriva ce que j’avais si longtemps attendu. Le jour où l’on installa le piano chez moi, le temps était mauvais, froid et âpre : je dus renoncer à te voir sur la terrasse. Le piano n’est pas encore complètement installé que, soudain, je te vois sortir de la salle de billard sur le balcon de devant ; tu prends une chaise et regardes dans ma direction. Le piano était alors installé ; j’ouvris la fenêtre et frappai les premiers accords. Tu ne savais pas du tout encore que c’était l’Érard…. Durant tout un mois, je fus sans te voir et, pendant ce temps-là, il m’apparut de plus en plus clair et évi-

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