Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/112

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veau ? Je suis devenu tout à fait insensible à ce désir depuis que j’ai quitté le dernier, le malheureux « Asile ». Par contre, je me sens, au plus profond de mon être, tellement fortifié et calmé, protégé contre les atteintes du monde entier par l’asile inviolable, indestructible et éternel que j’ai trouvé dans ton cœur, que de là je puis contempler le monde avec un sourire bienveillant et plein de compassion, ce monde auquel il m’est désormais possible d’appartenir sans dégoût, précisément parce que je ne lui appartiens plus en sujet souffrant, mais seulement en sujet compatissant. J’accepte donc, exempt de tout désir, la forme de ma destinée extérieure, pour la déterminer ensuite comme il me convient. Je ne désire plus rien ; ce qui se présentera à moi de soi-même et ne sera pas contraire à ma lucide conscience, je l’accepterai avec calme, sans espoir, mais aussi sans désespoir, afin d’accomplir ma tâche le mieux possible, autant que le permettra le monde, sans m’occuper d’une récompense, sans même demander la compréhension… En suivant cette voie calme, (dont la découverte est le résultat de luttes sans fin contre le monde et ensuite de ma délivrance par ton amour !) je m’établirai probablement un jour là où je disposerai de sérieuses ressources d’art, de l’acquisition desquelles je n’ai pas besoin de m’inquiéter en premier lieu (car pareil jeu ne me représente

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