Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reté !… Oui, certes, nous oublierons, nous vaincrons tout : il ne restera qu’un seul sentiment, la certitude qu’un miracle a eu lieu ici, tel que la nature n’en opère qu’une seule fois durant des siècles, sans être parvenue encore à une telle noblesse de réussite. Laisse-là toute douleur ! Nous sommes les plus heureux qui soient ! Avec qui voudrions-nous échanger notre sort ? —

23 Août, cinq heures du matin.

Je te vis en rêve sur la terrasse : tu portais des vêtements d’homme et avais sur la tête un chapeau de voyage. Ton regard était fixé dans la direction où j’étais parti. Cependant, moi, j’arrivais de l’autre côté. Ainsi tenais-tu ton regard toujours détourné de moi, et je cherchais vainement à te faire signe que j’étais là, jusqu’à l’instant où j’appelai : « Mathilde ! » doucement d’abord, puis plus haut, toujours plus haut, pour m’éveiller enfin par le bruit de ma propre voix, — Me rendormant quelque peu et retombant dans mes rêveries, je lisais de tes lettres, qui m’avouaient des amours de jeunesse : le bien-aimé, tu avais renoncé à lui ; mais tu vantais pourtant ses qualités, tu ne venais vers moi que pour trouver la consolation, — ce qui me fâchait un peu. Je ne voulus point poursuivre ce rêve et me levai pour écrire ces lignes… Toute la journée, j’avais souffert

— 47 —