Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/92

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compassion, l’on prétend communément que les natures inférieures, d’après le témoignage de l’expérience, ressentent moins la souffrance que les organismes supérieurs ; que la souffrance gagne en réalité suivant le degré de sensibilité qui éveille la compassion, partant que la pitié éprouvée pour des natures inférieures constitue de la prodigalité, de l’exagération, même une dégénérescence de la sensibilité. — Cette opinion a pour base, cependant, l’erreur fondamentale d’où est issue toute la philosophie réaliste ; et c’est ici qu’apparaît l’idéalisme dans la plénitude de sa signification vraiment morale, en nous montrant cette philosophie comme étroitement égoïste. Il ne s’agit pas de la souffrance d’autrui, mais bien de ce que, moi, je souffre en voyant souffrir mon semblable. Nous ne connaissons le monde autour de nous qu’autant que nous pouvons nous le figurer, et tel que je me le figure, il existe pour moi. Si je l’ennoblis, c’est qu’il y a de la noblesse en moi ; si je ressens profondément la souffrance de ceux qui m’entourent, c’est que ma sensibilité est capable d’intense émotion. Quiconque, au contraire, s’imagine la souffrance d’autrui sous des dimensions réduites prouve par cela-même qu’il n’y a point de grandeur en lui. Ainsi ma compassion fait de la souffrance d’autrui une vérité et, plus insignifiant est l’être auquel cette compassion s’adresse, plus grand

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