Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/93

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est le champ de ma sensibilité. — Voilà le trait de mon caractère qui pourrait sembler à d’autres une faiblesse. J’admets qu’il favorise l’exclusivisme, mais je suis assuré d’agir conformément à ma nature et, en tout cas, de ne faire mal à personne intentionnellement. Seule, cette considération peut encore déterminer mes actes : causer à autrui le moins de mal possible. En cela je suis absolument d’accord avec moi-même et c’est de la sorte seulement que je puis nourrir l’espoir de procurer du bonheur à d’autres êtres aussi, car l’unique vraie joie, c’est la communion dans la pitié. Je ne puis cependant l’imposer, cette sympathie : il faut que l’être ami me l’accorde spontanément. Et c’est pourquoi je n’ai pu rencontrer qu’une fois cette manifestation dans toute sa plénitude.

Je m’explique également pourquoi je puis avoir plus de compassion pour les êtres inférieurs que pour les êtres supérieurs. Telle qu’elle est, la nature supérieure s’est formée en s’élevant par ses propres souffrances jusqu’aux sommets de la résignation, ou bien elle possède les facultés indispensables pour s’élever jusque là, — facultés qu’elle a développées. Elle m’est proche immédiatement, elle est mon égale et avec elle je puis atteindre à la communauté de la joie. C’est pourquoi, au fond, j’éprouve moins de pitié envers les hommes qu’envers les animaux. Je constate qu’à ceux-ci manque

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